Les services sociaux de l’Education nationale :
les « invisibles» indispensables ?
Lettre ouverte au ministre de l’éducation nationale 

Les Lilas, le 12 mai 2020
Monsieur le Ministre de l’Éducation nationale, 

Depuis le début de la crise sanitaire qui impacte profondément notre pays, vous avez manifesté une sensibilité particulière aux impacts sociaux du confinement sur les élèves, leurs familles et les personnels, ce que nous partageons. C’est ce qui a motivé notre engagement à assurer la continuité sociale auprès des élèves et des personnels, à distance, et cela malgré les nombreux obstacles logistiques et matériels rencontrés.

Depuis le début de la crise sanitaire qui impacte profondément notre pays, vous avez manifesté une sensibilité particulière aux impacts sociaux du confinement sur les élèves, leurs familles et les personnels, ce que nous partageons. C’est ce qui a motivé notre engagement à assurer la continuité sociale auprès des élèves et des personnels, à distance, et cela malgré les nombreux obstacles logistiques et matériels rencontrés.
Vous avez placé le déconfinement et la réouverture des écoles et collèges sous le signe de l’ «urgence  sociale ». Vous avez valorisé les missions du service social des élèves (audiences, vidéos), reconnaissant le rôle « fondamental des assistants sociaux » de l’Education nationale, entre autres en tant que conseiller de l’institution, nous nous en félicitons.
Et pourtant, des  faits contredisent ce discours au sein même de notre institution.
Ainsi, les communications récentes du ministère continuent de négliger la contribution des personnels sociaux, confirmant à nos yeux la profonde méconnaissance de notre expertise sociale au sein de l’institution scolaire.
Pour exemple, la dernière lettre en ligne « L’actualité des personnels de l’Éducation nationale #10  du 7 mai 2020, adressée à l’ensemble des personnels, a profondément interpellé nos collègues Assistant –es et Conseiller-es Techniques de Service Social exerçant auprès des élèves ou des personnels.   
Nous interrogeons la reconnaissance de l’expertise du service social des élèves par notre employeur en matière de prévention contre les violences intrafamiliales et les violences faites aux femmes et aux enfants quand ce dernier conseille la seule orientation vers des associations, mêmes agréées par le ministère des Solidarités et de la Santé. La compétence de l’assistant-e de service social à entrer en relation de confiance avec un élève pour évaluer, orienter et accompagner les situations de violences est heureusement reconnue sur le terrain et son conseil social dans le domaine de protection de l’enfance sollicité.
La prévention collective et la sensibilisation des personnels font aussi partie de nos missions.  « L'assistant de service social participe à la mise en place de cellules d'écoute en cas d'événements traumatiques » comme énoncé dans la circulaire de missions n° 2017-055 du 22-3-2017.
 
En matière de prévention et protection des personnels, pas davantage de référence au service social des personnels, pourtant largement mobilisé auprès des personnels en période de confinement, entre autres dans le cadre des cellules d’écoute mises en place dans les académies. Les nombreux entretiens psycho-sociaux réalisés en témoigne ainsi que l’expertise apportée dans le cadre de l’action sociale pour accompagner les situations précaires aggravées par le confinement.
 
Ce discours incitant à l’externalisation des missions nous indigne. C’est sur le lieu de vie de tous les élèves que la prévention sociale, éducative et de santé doit  s’exercer avant tout.  Les compétences sont présentes dans leur diversité mais ne sont pas suffisamment reconnues et valorisées.
 
La référence ministérielle au sein même de la DGESCO au « service médico – social » nous interroge alors que cette considération n’existe plus en tant que tel depuis presque 30 ans.
Le champ professionnel du travail social doit pouvoir être reconnu pour ses compétences (actées dans le code de l’action sociale et des familles qui le définit dans son article D142-1), propres et complémentaires à celles des personnels de santé , exercées  au sein des différents services pilotées par les conseiller-es techniques de service social, et cela à tous les niveaux de décision, ministériel, académique et départemental.
 
Comme vous l’avez constaté lors des audiences santé/social, les préoccupations des services de santé et sociaux diffèrent du fait de la nature de leurs missions qui ne sont pas interchangeables mais aussi  des moyens attribués pour les exercer auprès de publics aujourd’hui différents.   
 
Lors de notre audience, vous  avez évoqué la possibilité d'un redéploiement temporaire vers les écoles du 1er degré  au prétexte que "la moitié des collèges (4ème et 3ème) et les lycées restent fermés".
Nous dénonçons avec force que cette consigne soit déjà effective dans certaines académies qui  demandent aux  assistant-e.s et conseiller-es  de service social de venir en soutien des écoles du 1er degré dans le cadre de la réouverture prévue le 11 mai.
 
Nous ne méconnaissons pas les besoins existants dans le 1er degré en matière  de service social, preuve en est notre demande commune depuis plusieurs années de moyens dédiés spécifiques pour le service social en faveur des élèves dans le premier degré.
 
Pour autant, comme depuis déjà plusieurs semaines, dans cette période particulièrement difficile pour tous mais impactant plus durement les plus fragiles,  le service social  a pris toute sa place auprès des élèves, des familles et en lien avec les équipes de ces établissements alors que les établissements du 2nd degré étaient fermés.
 
Les personnels sociaux, inquiets du risque d’aggravation des inégalités sociales et scolaires se sont mobilisés pour favoriser  la continuité pédagogique des élèves les plus  éloignés de l’école en concertation  à distance avec les équipes. Ils  ont apporté tout leur soutien à l’accès aux droits des familles les plus précaires et  assuré leur rôle dans la protection de l’enfance en lien avec les partenaires. En alerte permanente,  ils font preuve de résilience et adaptent leurs pratiques dans l’intérêt des publics accompagnés voire développent ou participent au développement de pratiques innovantes.
 
Le maintien des liens avec les élèves et les familles est complexifié par le travail à distance, sans matériel professionnel approprié.  Chaque démarche demande de ce fait un temps plus long et plus complexe qu'il convient de prendre en compte.
De plus, les assistant-es de service social interviennent sur plusieurs établissements ce qui multiplie ce travail de lien avec les familles, les élèves et les équipes pédagogiques et éducatives. Chaque semaine des réunions en visioconférence ont lieu avec les établissements et le service social y a toute sa place.
 
La demande qui est faite aujourd’hui aux personnels tend à nier tout ce travail effectué depuis le 16 mars et qui va se poursuivre au-delà du 11 mai. Il n'est pas concevable que ce renfort, même temporaire, soit synonyme de surcharge de travail dans un contexte déjà marqué par des conditions de travail particulières.
 
De longue date, nos organisations syndicales ont affiché leur volonté d’une prévention précoce et d’une école inclusive pour tous dès le 1er degré. Mais cette volonté a toujours été aussi conditionnée à une revendication de moyens alors que les capacités d’agir des personnels sociaux dans le second degré sont aujourd’hui limitées par un contexte de pénurie qui aggrave les risques psycho sociaux dans notre profession.
Même si le  contexte d’aujourd’hui appelle de l’adaptation et de la souplesse, il ne peut donner lieu à une déréglementation de nos services et une dégradation des conditions de travail des personnels sociaux.  Il n'est pas concevable que les assistant-es et conseiller-.es techniques de service social soient pris en tenaille entre des demandes culpabilisantes de l’administration et un contexte anxiogène pour tous.
Dans l’état actuel des moyens et des priorités du service social des élèves, le « renfort auprès des écoles primaires » ne peut s’envisager que dans le cadre de la circulaire n° 2017-055 du 22-3-2017 qui édicte les missions conférées au SSFE,  en l’occurrence exclusivement sous forme de  conseil technique pour les primaires des REP+.
Le redéploiement du 2nd degré vers le 1er degré est pour nous une ligne rouge et la période que nous vivons impose de faire preuve de prudence sur de fausses bonnes idées improvisées dont les conséquences n'ont pas été discutées en amont.
Le besoin de service social dans le 1er degré n'est pas nouveau et se poursuivra bien  au-delà de la période de crise sanitaire que nous traversons. Si vous considérez  comme nous qu'une intervention du service  social est nécessaire dans les écoles, il est indispensable de créer des postes spécifiques, préalable non-négociable à nos yeux. Pour rappel, le service infirmier qui intervient de la maternelle à l’université compte trois fois plus d’effectifs que le service social des élèves.      
Nos organisations syndicales refuseront donc tout redéploiement même temporaire. Nous  vous demandons expressément  d’intervenir auprès des rectorats qui envisagent de solliciter à très court terme le service social en renfort dans le 1er degré.   
 
A l’instar de votre discours, rappelons par ailleurs que le montant de la rémunération indiciaire et indemnitaire  des personnels sociaux est loin de reconnaitre le niveau de leurs responsabilités.
Les assistants-es de service social auprès des élèves restent exclus de la prime REP + touchée par  tous les autres personnels et  ne bénéficent d’aucun moyen de secrétariat, ni d’outils professionnels propres, en dehors de ceux mis à disposition de manière très aléatoire par les établissements scolaires.
 
L’enveloppe de frais de déplacement actuellement attribuée aux personnels sociaux  en tant que personnels itinérants est loin de couvrir les frais réellement engagés, sans compter les  déplacements  sur  communes limitrophes qui n’ouvrent droit à ce jour à aucun remboursement.
Monsieur  le ministre, notre ministère employeur a trop longtemps négligé la politique sociale envers les élèves et les personnels qui manque aujourd’hui de cohérence et d’ambition.
Après les discours, nous attendons  des actes !
 
Si  cette période de crise sanitaire vous a convaincu de la nécessité d’améliorer la politique de prévention sociale dans votre ministère, nous  comptons sur votre intérêt à étudier  avec attention toutes les revendications portées aujourd’hui en intersyndical pour les personnels sociaux de votre ministère qui restent trop souvent  invisibles quoique indispensables.
 
Une audience intersyndicale à votre initiative uniquement dédiée aux services sociaux pourrait faciliter le dialogue social et restaurer la confiance.
 
Nous vous prions de croire, Monsieur le Ministre, en l’expression de nos salutations respectueuses.

 

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